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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

Billot se retira dans son appartement particulier (sa chambre à coucher) pour entendre les explications de Picquart[1]. Ce ministre en tutelle, espionné jusque dans son cabinet, se méfiait de ses propres officiers. Ainsi les doges de Venise tremblaient devant les sbires secrets du conseil des Dix, et les rois catholiques eux-mêmes, dans l’Escurial, devant la Sainte-Inquisition, invisible et partout présente.

Une fois en sûreté. Billot regarda de près le bordereau, le compara avec l’écriture de Dreyfus et avec celle d’Esterhazy ; il dit nettement son opinion : « Le bordereau n’est pas de la main de Dreyfus[2]. »

Quand Picquart en arriva à la communication des pièces secrètes, en chambre du conseil : « C’est grave, observa Billot, très grave ! » comme s’il avait ignoré la

  1. Je tiens ce récit de Picquart. L’an d’après, Billot prendra les mêmes précautions pour causer avec Scheurer-Kestner. — Billot, à la Cour de cassation, brouille les dates et les faits : c’est d’abord Boisdeffre qui se plaint que « Picquart cherche à trouver un coupable autre que Dreyfus » ; puis, Picquart, interrogé par Billot, lui dit que le bordereau n’est pas de Dreyfus, mais d’Esterhazy ; Billot donne alors à Picquart « des directives pour chercher du côté de certaines individualités » ; « les choses continuaient ainsi quand, un jour, le général de Boisdeffre me rendit compte que Picquart lui avait montré un télégramme bleu,… etc. » (I, 550.) De même à Rennes. (I, 178.)
  2. Je tiens de Picquart ce propos dont le souvenir lui est resté très présent. Billot dépose à Rennes : « J’ai été très ému de ces écritures. » (I, 178.) — À la Cour de cassation, Billot avait prétendu tout le contraire : « Je répondis au colonel Picquart que l’écriture d’Esterhazy ne ressemblait pas plus à celle du bordereau que celle de deux autres personnalités dont il me présentait l’écriture, et je l’invitai à continuer ses recherches, non seulement sur Esterhazy, mais encore de deux autres côtés. » — Le dossier que Picquart présenta à Billot comprenait, outre des spécimens des écritures de Dreyfus et d’Esterhazy, le petit bleu, le commentaire de Du Paty, la pièce Canaille de D… et un rapport de Guénée. Qui sont « les deux personnalités » visées par Billot ? D’autre part, Billot engagea en effet, Picquart à « observer » Maurice Weil.