Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1903, Tome 2.djvu/347

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
337
LA DOUBLE BOUCLE


leur chef[1]. Depuis, Saussier était resté le protecteur de Forzinetti.

Billot lui-même avait vécu trop longtemps avec les meilleurs du parti républicain et, mieux encore, avec les idées de justice et d’humanité qui sont les principes de la Révolution, pour ignorer où était le devoir dans ces circonstances, son devoir de chef de l’armée. Mais son intérêt ?

Chose grave déjà d’hésiter entre le devoir et l’intérêt. Picquart n’a pas connu ce doute. Billot pèse le pour et le contre de l’honneur.

Et, comme cette indécision même est une première défaillance, elle porte en elle-même son châtiment : Billot pèse avec de faux poids, dans une balance mal réglée.

En effet, s’il n’eût obéi qu’à la voix intérieure qui lui parla, il n’eût pas commis la sottise de se croire faible alors qu’il était le maître. Il ignorait ou n’avait pas médité cette pensée de Pascal, qui explique toutes les vicissitudes du drame que je raconte : « La justice sans la force est impuissante ; la force sans la justice est tyrannique. Il faut donc mettre ensemble la justice et la force. La justice est sujette à dispute ; la force est très reconnaissable et sans dispute. Ainsi, ne pouvant faire que ce qui est juste fût fort, on a fait que ce qui est fort fût juste[2]. »

Picquart apportait seulement la vérité. Billot fut le premier de ceux qui eussent pu mettre ensemble la justice et la force.

  1. Cass., I, 128, Picquart : « Ils disaient que tout cela était encore des inventions du bureau des Renseignements ; ma mémoire me permet presque d’affirmer que, parmi ces officiers, se trouvait le commandant Capiomont. »
  2. Pensées, Éd. Lahure, I, 274.


22