Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1903, Tome 2.djvu/348

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
338
HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

À cette heure où les passions ne sont pas encore débridées, où les tempêtes n’étouffent pas la voix de la raison, où la France ne se croit pas menacée dans son armée ni l’armée dans son honneur, tout est aisé.

Assurément, les collaborateurs (ou complices) de Mercier sont hommes à nier d’abord l’évidence des faits pour éviter l’aveu public d’une erreur. Mais surpris, en pleine sécurité, par un coup aussi imprévu, sans concert entre eux, libres encore d’alléguer leur bonne foi, leur ignorance des lois, la faillibilité du jugement humain, ils s’inclineront devant la résolution d’un ministre clairvoyant, ferme sur ses droits, irrité, qui a des comptes sévères à leur réclamer. Il n’a qu’à mander cet orgueilleux et faible Boisdeffre : « Voilà dix jours que le lieutenant-colonel Picquart vous a fourni les preuves certaines d’une lamentable erreur judiciaire : de quel droit et pourquoi ne m’avez-vous pas averti sur l’heure ? dans quel intérêt personnel, pour préparer quelles machinations, avez-vous, si longtemps, interdit à cet officier de m’informer ? »

Et qui, parmi ses collègues du gouvernement, dans les deux Chambres, dans l’armée (hors Mercier), et dans le pays, hors cette poignée d’agitateurs, la démagogie antisémite, qui contestera la parole du ministre de la Guerre ? Le président du Conseil est un vieux républicain, un honnête homme, son ami depuis près de trente ans ; l’éclatante lumière ne luit pas pour le seul Picquart ; Méline, s’il ne ferme pas les yeux, la verra comme lui. Du coup, Billot s’élève des honneurs à la gloire. Picquart n’aura été qu’un agent d’informations, son agent, dressé, dirigé par lui. Il a fallu trois ans d’efforts à Voltaire pour arracher au Parlement de Toulouse la réhabilitation de Calas. Il n’est pas besoin