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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

XII

Picquart, quand il lut l’article de l’Éclair, l’attribua à Mathieu Dreyfus[1]. Il tenait de Guénée que le député Castelin avait traité, pour ce journal, avec la famille du condamné. Il savait « ces gens » résolus à tout pour faire reconnaître l’innocence de leur martyr. Il croyait à l’apparition prochaine de quelque misérable qui s’avouerait l’auteur du bordereau. Il imagina que l’article était une nouvelle manœuvre de ces Juifs audacieux.

Il n’ignore pas de quel mystère a été entourée la communication clandestine des pièces secrètes. Depuis qu’il en a pris connaissance, il a compris que produire contre un accusé des charges ignorées de la défense est chose « effroyable[2] ». Boisdeffre, par deux fois, lui a révélé que c’est un crime : quand le général s’est étonné que le dossier secret n’ait pas été détruit ; quand il lui a reproché, avec colère, de l’avoir fait voir au ministre. Qui croirait le frère du condamné accusant Mercier d’avoir violé la loi pour arracher à des juges trompés la condamnation d’un innocent ? Mais qui osera démentir le réquisitoire du journal ? Ainsi, par une ruse habile, la forfaiture devient un fait public, incontestable. Ainsi va s’ouvrir la procédure en revision, en annulation de l’inique et illégal verdict.

L’article avait produit une vive émotion au minis-

  1. Instr. Fabre, 101 ; Cass., I, 166 ; Rennes, I, 439, Picquart.
  2. Rennes, I, 331, Picquart : « Je me suis rendu compte du danger effroyable qu’il y a à ne pas soumettre à la discussion publique des pièces, si probantes qu’elles puissent paraître. »