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LA DOUBLE BOUCLE


pétence : il va en référer à Boisdeffre, encore aux manœuvres, dans les Charentes, avec le Président de la République et le ministre de la Guerre ; le général rentrera dans deux jours[1].

On aborda ensuite la question capitale de l’erreur judiciaire.

Picquart ayant repris, avec une nouvelle force, son raisonnement et ses objurgations : « Mais qu’est-ce que cela vous fait, demande Gonse, que ce Juif reste à l’île du Diable ? » Picquart, stupéfait de ce cynisme, répond : « Mais, mon général, il est innocent. » Gonse n’entend point ce langage : « C’est une affaire qu’on ne peut pas rouvrir ; le général Mercier, le général Saussier y sont mêlés. » — « Mais puisqu’il est innocent ! » répète Picquart. Gonse hausse les épaules ; il ne conteste pas que Dreyfus soit innocent : « Cela ne fait rien, dit-il ; ce ne sont pas des considérations qui doivent entrer en ligne de compte. » Picquart essaye de parler à Gonse un langage moins noble, que le général entendra mieux ; il appelle l’attention de Gonse sur le travail commencé par la famille du condamné, sur les manœuvres qu’elle tente : « Quelle sera notre posture, interroge-t-il, si elle arrive à découvrir le véritable coupable ? » Gonse : « Si vous ne dites rien, personne ne le saura. »

Alors Picquart, ce soldat discipliné et respectueux, si maître de lui, mais pris d’indignation : « Ce que vous dites là est abominable, mon général ! Je ne sais pas ce que je ferai, mais, en tout cas, je n’emporterai pas ce secret dans la tombe[2] ! »

Et il quitte la pièce, brusquement, sans attendre la réponse de Gonse.

  1. Instr. Fabre, 59, Boisdeffre. — La revue finale eut lieu le 17. Billot et Boisdeffre rentrèrent ensemble dans la nuit.
  2. Revision, 114, lettre de Picquart au garde des Sceaux ;