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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


si nous ne prenions pas l’initiative. » C’est fait. Il va rechercher « avec soin qui a pu préparer si habilement la bombe », mais il croit devoir affirmer, encore une fois, « qu’il y a lieu d’agir sans retard ». « Si nous attendons encore, nous serons débordés, enfermés dans une situation inextricable, et nous n’aurons plus les moyens ni de nous défendre, ni d’établir la vérité vraie. »

Gonse, le lendemain, rentra de congé, reçut Picquart dans son cabinet[1]. Comme cet obstiné, ce naïf ne voulait pas deviner les intentions des chefs, leur violent désir d’étouffer l’affaire, le prix dont ils payeraient ses complaisances et sa tacite complicité, Gonse crut habile de jouer cartes sur table, de mettre au téméraire justicier le marché à la main.

L’entretien porta d’abord sur l’article de l’Éclair. Picquart avait pensé prendre Esterhazy par surprise et le voilà averti[2]. — Il ignorait qu’Esterhazy l’était depuis cinq mois. — De toutes façons, cette divulgation de documents secrets tombe sous le coup de la loi sur l’espionnage[3]. En conséquence, il réclame une enquête pour rechercher l’auteur de l’indiscrétion ; il a rédigé une note à ce sujet ; il demande également qu’une perquisition soit opérée au bureau du journal pour saisir le manuscrit[4]. Gonse, qui ne s’attendait pas à cette offensive, allégua qu’une telle initiative excédait sa com-

    dale que certaines gens menaçaient de faire éclater… L’article de l’Éclair, que vous trouverez ci-joint, me confirme malheureusement dans mon opinion. Je vais rechercher… etc. »

  1. Revision, 114, Cass., I, 167 ; Rennes, I, 439, Picquart.
  2. Procès Zola, I, 287 ; Instr. Fabre, 73, Picquart.
  3. Article 2 de la loi du 18 avril 1886 tendant à établir des pénalités contre l’espionnage : « La publication ou la reproduction de plans, écrits ou documents sera punie d’un emprisonnement de deux ans à cinq ans et d’une amende de mille à cinq mille francs. »
  4. Procès Zola, I, 287, 318 ; Cass., I, 166 ; Rennes, I, 440, Picquart. — À l’instruction Fabre, Picquart demanda que la note fut produite par Gonse, qui n’en fit rien (75).