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ESTERHAZY


tistique : « Il en sait long ; il peut parler dans un régiment ; gardez-le-moi[1]. » On le lui garda. Maurice Weil avait fait, lui aussi, la campagne de 1870 ; capitaine de réserve, il était employé, depuis plusieurs années, à des missions secrètes en Allemagne et à diverses besognes, sans titre officiel, d’ailleurs rétribué. Le paysan parvenu et l’amateur militaire furent également flattés de cette camaraderie avec le « comte » Esterhazy. Son nom, européen, historique, sa noblesse usurpée, son faux luxe[2], ses hâbleries éloquentes, c’était plus de clinquant qu’il n’en fallait pour faire illusion[3]. Weil avait la manie (tantôt profitable, tantôt dangereuse) d’offrir ses services ; obliger faisait partie de sa politique. Esterhazy prêta quelque argent à Henry, qui ne le lui rendit jamais[4]. Ils travaillaient côte à côte

  1. Le général de Miribel avait été appelé à l’État-Major sous le ministère Rochebouët, qui prépara un coup d’État contre la Chambre. (Novembre-décembre 1877.)
  2. Quand la fortune (au jeu ou à la Bourse) lui était favorable, il allait au ministère dans une voiture élégante, lui-même de mise très recherchée, une large fleur à la boutonnière. Il demeurait, rue des Écuries-d’Artois, dans un immeuble qui appartenait, disait-il, à sa famille — ce qui était faux — et dont il occupait le rez-de-chaussée.
  3. Cass., I, 594, Esterhazy : « Weil qui, quand j’étais heureux et honoré, était trop fier de se montrer avec moi. »
  4. Lettre d’Esterhazy à Jules Roche, décembre 1896 : « Le commandant Henry, en effet, est mon débiteur depuis 1876 ; je lui ai prêté quelque argent qu’il ne ma jamais rendu, qu’il me doit encore. » (Cass., I, 709.) — Lettre d’Esterhazy à Grenier, 10 février 1897 : « Le ministre écoute les calomnies intéressées d’un drôle quelconque en épaulettes, et vraisemblablement du sieur Henry, mon débiteur et mon obligé. » (Rennes, II, 6.) Même propos à Christian Esterhazy pendant l’hiver 1897-1898 (Mémoire, 72.) — Déposition à Londres, 1er mars : « Je lui ai rendu de petits services d’argent. » — Il existe trois versions de la déposition d’Esterhazy à Londres : 1° texte original, (inédit), écrit, sous sa dictée, par le consul général de France, André Lequeux, les 22 et 26 février, 1er et 5 mars 1900, signé du consul et d’Es-