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HENRY

L’armée n’a pas toujours mis sa force au service du droit ; pourtant, sous tous les régimes, Empire, Monarchie ou République, il sembla à l’âme populaire qu’elle est le lieu où, si les volontés sont asservies à la règle, la règle est loyale et franche. Et telle, en effet, elle fut jusqu’au jour où la Société d’Ignace façonna trop de chefs militaires à son image. Alors, si, dans les corps de troupes, on continua encore à recevoir « des ordres nets et fermes, » en haut, dans les États-Majors, dans ces bureaux « où les officiers sont heureux d’être employés », ce ne fut plus par des ordres, ni même par des indications simples et précises que les chefs firent savoir leur volonté, mais par des incitations vagues, un mot lancé à propos et qui semble échappé ; et « l’officier doit être assez habile pour comprendre[1] ».

Ainsi ont procédé ces chefs avec Picquart. Leur accueil glacial, quand il leur a communiqué sa découverte ; puis, leurs instructions pour lui interdire, sous de spécieux prétextes, toute action efficace, et les impossibles consignes où ils l’enferment, autant d’avertissements qu’il n’a pas entendus. Il s’est conformé à la lettre, non à l’esprit de leurs ordres. Ce qu’ils attendaient de lui, c’est qu’il leur sacrifiât son intime conviction. De cette comédie, quel gré ils lui auraient su ! Il devenait des leurs, de la bande, et combien fort, aussi redoutable qu’Henry, les tenant par une telle complicité !

Or, s’il s’est incliné, et, peut-être, même dans son intérêt personnel, avec une trop prompte déférence, cependant, il suit sa pensée[2] ; Boisdeffre, Gonse

  1. Rennes, I, VI, Picquart : « Voilà généralement comment sont donnés les ordres dans ces services et voilà comment il faudrait qu’ils ne se donnent plus. »
  2. Procès Zola, I. 321, Picquart : « On m’a bien dit que j’avais une idée fixe. »