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HENRY


déclarations au sujet de Dreyfus. Or, Picquart, s’il ne conçut de ce récit aucun soupçon contre Henry, en avait conclu que, vraiment, Dreyfus n’avait pas été au service de Schwarzkoppen, seul crime dont il eût été accusé.

Boisdeffre objecta sèchement que Schwarzkoppen pouvait bien avoir menti à l’ambassadeur[1]. Et l’entretien en resta là. Il n’y avait décidément rien à tirer de cet honnête homme, obstiné à se perdre. L’heure était venue des grands moyens. De toutes façons, il faut que ce gêneur disparaisse. Un condottiere de la Renaissance, Malateste ou Sforze, l’eût fait assassiner au coin d’une rue. Cette énergie n’est pas d’un siècle amolli. Boisdeffre demandera simplement à Billot le renvoi de Picquart. Et il lâchera les subalternes impatients qui ont été plus perspicaces que lui-même. Jaloux du jeune chef présomptueux, empressés de plaire, ils sauront, eux, ramasser le mot distrait, tombé par mégarde.

V

Quelle que fût la confiance de Picquart en ses collaborateurs, il sentait qu’un malaise régnait au bureau[2]. Il n’eût pu formuler de grief contre aucun d’eux, ni contre Gribelin, toujours obséquieux[3], ni contre Henry, très cordial, ni contre Lauth, qui l’invita à dîner

  1. Cass., I, 171, Picquart.
  2. Ibid., 160 ; Instr. Tavernier, 1 oct. 1898, Picquart.
  3. Procès Zola, I, 159, Gribelin : « Tous les soirs, avant de m’en aller, je lui disais bonsoir. »