Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1903, Tome 2.djvu/441

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
431
HENRY


les lui emprunta, pour les faire voir à son directeur. Celui-ci (bon journaliste) ne laissa pas échapper une telle aubaine.

Grande joie pour Mathieu Dreyfus : enfin, il va pouvoir établir, avec cette photographie qui lui a fait si cruellement défaut, que le bordereau n’est pas de son frère et, qui sait ? retrouver le véritable traître. Et frayeur non moins grande de Boisdeffre et de Gonse. D’où vient ce terrible fac-similé d’une scrupuleuse exactitude[1] ? Qui l’a livré, vendu au journal ? Soupçonnant Teyssonnières[2], ils accusent Picquart de cette nouvelle indiscrétion[3]. Sans doute, par précaution,

    lement, donnée. — À l’instruction Fabre, le directeur du Matin, Maurice Bunau-Varilla, avait invoqué le secret professionnel et refusé de nommer la personne qui lui remit le fac-similé. (Instr. Fabre, 160). Son frère, Philippe, avait été, à l’École polytechnique, le camarade de Dreyfus ; quand Maurice Bunau-Varilla lui montra le bordereau, il le compara avec des lettres de Dreyfus qu’il avait gardées et fut frappé des dissemblances d’écriture ; il en tira la conclusion qu’une erreur judiciaire avait pu être commise.

  1. Procès Zola, I, 316, Picquart ; II, 7 Pellieux : « Je reconnais que, parmi tous les fac-similés qui ont paru, celui du Matin ressemble le plus au bordereau. » — La certitude qu’un document reproduit par le gillotage peut tenir graphiquement lieu d’un original est attestée par Paul Meyer (I, 499 y II, 41), Émile Molinier (I, 513). — Pellieux avait d’abord (I, 245) traité de « faux » les reproductions publiées par les journaux.
  2. Procès Zola, I, 468, Trarieux : « On est venu me dire que, dans les régions gouvernementales, on soupçonnait Teyssonnières… etc. » — Le commissaire spécial Tomps a établi à Rennes (III, 368) que Teyssonnières fut dénoncé par Bertillon comme l’auteur de la communication. Quand Bertillon avait fourni des photographies du bordereau aux experts de 1894, il avait marqué chacune d’un petit signe ; or, il reconnut, « sur le fac-similé du Matin, le signe qui caractérisait la photographie confiée à Teyssonnières. »
  3. Instr. Fabre, 21, Gribelin. — Gonse (40) insinue que la communication est venue de Picquart. Celui-ci (83) proteste énergiquement. Il fait observer que, si le bordereau avait été livré au Matin par un ami de Dreyfus, le journal eût repro-