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HENRY

Je prévins Demange que le débat tournerait court, La Chambre ne s’était pas émue du massacre de cent mille Arméniens ; elle ne s’attendrirait pas sur les malheurs d’un Juif. Seul, un orateur ayant l’oreille de l’Assemblée, Jaurès ou Ribot, pourrait interroger Billot sur la communication clandestine des pièces secrètes. Mais Billot niera, et la Chambre le croira sur parole. Demange se tut de la confidence qu’il avait reçue de Salles. Cependant, il écrivit au président de la Chambre pour lui affirmer que les droits de la défense, les garanties tutélaires de la loi avaient été violées. Marcel Habert, député de Rambouillet, naguère l’un des lieutenants de Boulanger et devenu l’ami intime de Déroulède, lui promit d’intervenir en ce sens.

Le matin même, seul entre tant de journalistes qui eussent dû lui en disputer l’honneur, Cassagnac posa la question dans un vigoureux article[1]. Bien que la sentence qui a frappé Dreyfus ait été « rendue dans une cave », « sans la garantie indispensable de la publicité », il l’accepte et il croit, du moins « il veut croire » à la culpabilité du condamné. Mais à cette condition cependant que la procédure ait été légale. Or, la presse a raconté que « le conseil de guerre a jugé et condamné Dreyfus sur une pièce qui aurait été cachée à l’accusé et à la défense ». Il importe donc de savoir si cette pièce existe, « si cette monstruosité, unique dans l’histoire, a été commise ». Qu’il s’agisse « d’un Juif ou d’un non-Juif, les droits de la défense sont également imprescriptibles », et qui sait si « l’illégalité n’a pas été la cause inconsciente, involontaire, de l’erreur judiciaire » ?

Billot manœuvra très habilement. Il monta à la tribune, dès le début de la séance, pour lire une déclara-

  1. Autorité (antidatée) du 19 novembre 1896.