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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


son devoir ». D’autres députés (Lasteyrie, Hubbard), proposèrent des ordres du jour transactionnels : ils s’en remettaient au gouvernement du soin de maintenir avec fermeté l’autorité de la chose jugée. Marcel Habert, fidèle à la promesse qu’il avait faite à l’avocat de Dreyfus, demanda la parole contre l’ordre du jour de Lasteyrie, mais la Chambre cria : « Aux voix[1] ! » Marcel Habert l’excédait ; il intervenait dans toutes les discussions, bruyant et filandreux ; il allait, certainement, recommencer le discours de Castelin, tonner contre les Juifs, débiter des tirades patriotiques ! Il eut la loyauté d’insister ; des rumeurs, des cris d’impatience lui répondirent. Enfin, comme Castelin, qui voulait avoir les honneurs de la journée, avait introduit le mot de confiance dans son ordre du jour, Méline céda, accepta la nouvelle formule qui, par mains levées, fut votée à l’unanimité moins cinq opposants[2] et quelques abstentions, dont la mienne. La Chambre se déclarait « unie dans un sentiment patriotique et confiante dans le gouvernement pour rechercher, s’il y a lieu, les responsabilités qui se sont révélées à l’occasion et depuis la condamnation du traître Dreyfus, et en poursuivre la répression. »

Un peu auparavant, comme l’extrême-gauche devenait houleuse, Deschanel s’écria : « Mais enfin, ce sont des hommes d’honneur qui sont au pouvoir ! » Et Billot s’était rengorgé.

  1. « Marcel Habert : « Je demande la parole contre l’ordre du jour qui vient d’être lu. » (Sur divers bancs : Aux voix ! Aux voix !) Un peu plus tard : « Je demande la parole. » (Exclamations.)
  2. Cela fut constaté par une interruption de Castelin : « Je tiens à constater que la Chambre a voté l’ordre du jour à l’unanimité, moins cinq voix. » Les cinq députés qui repoussèrent l’ordre du jour le trouvaient insuffisant ; ils ne voulaient pas donner leur confiance au gouvernement. J’ai le souvenir d’avoir vu se lever, à la contre-épreuve, la main de Cluseret, l’ancien général de la Commune.