Cependant, le crime triomphe. Et lui, qui eût pu être le justicier, le voici, humilié, désarmé, dans un coin perdu d’Afrique ! Et peut-il même se plaindre, quand l’autre est là-bas ?
Sa pensée subtile cherchait à tout concilier, ses deux devoirs, le militaire et le moral, ses deux intérêts, d’honnête homme et de soldat. Il avait espéré une crise ministérielle. Il parlerait, ce jour-là, à un autre ministre, plus loyal, moins timoré, à quelque Cavaignac, pourchasseur breveté d’abus et défenseur patenté de la vertu. Il pensa aussi soit à donner sa démission, soit à prendre sa retraite, — dans trois ans, — après vingt-cinq ans de service, et il se renseigna à cet effet. Puis, comme il aimait encore son métier et qu’il était sans fortune, il écarta ces combinaisons et imagina de demander à quitter l’armée de terre pour l’infanterie de marine ; ce changement d’arme opéré, il s’ouvrirait à son nouveau chef, qui, peut-être, aurait le courage d’avoir une conscience, n’étant pas le prisonnier d’un État-Major lui-même prisonnier du passé. Il écrivit, confidentiellement, à son ami, le lieutenant-colonel Mercier-Milon, de lui chercher un permutant.
Idée ingénieuse, mais dans combien de temps la pourra-t-il réaliser ? Et, s’il meurt d’ici là, que deviendra l’autre, déshonoré à jamais ? et sa propre mémoire ?
Il a dit à Gonse qu’il n’emportera pas ce secret dans la tombe ; le secret, du moins, sortira de sa tombe ; ce que le vivant a tû, le mort le révélera.
Il ajouta, de Sousse, le 2 avril, un long codicille à son testament[1]. Il y racontait le hasard qui l’avait mis sur la piste du traître ; l’infamie du personnage et
- ↑ Instr. Fabre, 5, Scellé n° 1 bis.