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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


d’abord à Scheurer de recevoir son récit en toute confidence et de n’en faire usage qu’avec son assentiment. Scheurer donna sa parole[1]. Alors, Leblois lui dit tout ce qu’il savait[2] et, notamment, le mot de Picquart à Gonse : « Je n’emporterai pas ce secret dans la tombe. »

Scheurer fut très ému. Pourtant, il fallait à son esprit scientifique une preuve matérielle : les lettres de Gonse. Leblois l’emmena chez lui, montra les lettres[3].

Il raconte qu’il en fut « terrassé ». Quoi ! un général français fait bon marché du sort déplorable d’un innocent ; avec la complicité du chef de l’État-Major et du chef suprême de l’armée, il éloigne sous des prétextes mensongers l’officier qui lui a révélé la vérité ! Et l’armée s’appelle l’école de l’honneur ! Honneur qui est à l’inverse de celui des simples honnêtes gens, étrange honneur qui consiste à n’avoir jamais tort… Peut-être faut-il qu’il en soit ainsi dans l’armée ? Mais, non, il y eut d’autres soldats, d’âme plus haute, et leur race n’est pas morte, puisque voici Picquart. Sous l’uniforme, comme sous le vêtement civil, les uns sont probes, loyaux, les autres ne le sont pas ; quelques chefs indignes ne sont pas, à eux seuls, l’Armée[4].

Cependant Scheurer, en même temps qu’il recevait toute la vérité, perdait toute liberté. En effet, il a promis à Leblois de n’agir que d’accord avec lui, et Leblois précise que le nom de Picquart ne devra être prononcé à personne. Que Scheurer nomme Picquart à Billot, c’en est fait de Picquart.

  1. Procès Esterhazy, 149, Scheurer.
  2. Procès Zola, I, 92, Leblois ; I, 104, Scheurer.
  3. Procès Esterhazy, 150, Scheurer. — Procès Zola, I, 92, Leblois ; 105, Scheurer.
  4. Mémoires de Scheurer.