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SCHEURER-KESTNER

Ce fut au tour de Scheurer de dire à Leblois ce que Leblois avait dit à Picquart : « Et Dreyfus ? » À quoi sert-il à Scheurer de savoir que Dreyfus est innocent s’il n’en peut donner aucune preuve ? Comment, ainsi ligoté lui-même, pourra-t-il délivrer le malheureux ? De quel poids va peser sur lui, sur les événements, une prohibition aussi formelle ?

Leblois ne disconvient pas que tout cela est gênant, mais il va chercher un moyen de sortir d’affaire. En attendant, il autorise Scheurer à prévenir ses amis qu’il a maintenant la certitude de l’innocence de Dreyfus ; mais comment cette certitude lui est venue, défense de le confier à qui que ce soit[1].

Grande autorité que la parole d’un homme comme Scheurer. Tous ses amis le croiront. Mais les autres ?

Le lendemain du jour où Scheurer reçut les confidences de Leblois était la Fête nationale. Ce jour-là, les bureaux des deux Chambres se rendent, officiellement, à la revue de Longchamp, Scheurer arriva au palais du Luxembourg avec quelque retard. Ses collègues s’impatientaient. Il leur dit (au président Loubet, aux autres vice-présidents, aux secrétaires et aux questeurs) qu’il venait de se convaincre que Dreyfus avait été injustement condamné. Quelle preuve ? « Je n’en puis dire davantage ; mais vous pouvez répéter partout que telle est ma conviction[2]. »

Les jours suivants, ce fut, dans les couloirs, l’objet

  1. Mémoires de Scheurer.
  2. Ibid. — Scheurer m’écrivit, de Thann, le 7 août : « C’est le 13 juillet que ma conviction s’est formée. C’est le 14 qu’avant de quitter le Luxembourg, j’ai déclaré à tous les membres présents, y compris le président, que j’étais persuadé et que, non seulement je les autorisais, mais que je les priais de le dire urbi et orbi. C’est le vendredi 16 juillet que j’ai fait part de ma persuasion à notre déjeuner. »