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SCHEURER-KESTNER

Il écrivit donc à Leblois[1] combien il était « tourmenté » :

Il me semble, dit-il, qu’il y a quelqu’un (Picquart) qui devrait sentir très vivement l’immense responsabilité morale qu’il encourt. Son devoir est de dire ce qu’il sait. Le fera-t-il ? A-t-il le cœur assez haut placé pour affronter les inconvénients qui pourraient résulter pour lui de la divulgation des faits ?…

Il est impossible d’admettre qu’un honnête homme garde par devers lui un si terrible secret et laisse un infortuné livré à la torture imméritée de l’île du Diable, même pendant un temps limité encore.

Votre ami est certainement un honnête homme ; il en a donné la preuve, mais il ne faut pas que son honnêteté s’arrête en route.

Scheurer a commencé, avec l’approbation de Leblois, « à jeter dans le milieu politique l’idée qu’il est certain de l’innocence de Dreyfus » ; il est décidé à affirmer prochainement (2) sa persuasion dans une lettre publique : comment la peut-il justifier s’il n’est pas autorisé (par Leblois, par Picquart) à se servir de ce qu’il sait ? À quels justes reproches il s’expose, « s’il tarde trop à agir après avoir tant parlé » !

Leblois était embarrassé. Il avait écrit à Picquart, en Tunisie, pour lui demander quelques renseignements complémentaires[2] ; de son entreprise avec Scheurer, il n’avait osé rien dire. Il répondit[3] que

  1. De Thann, le 11 août 1897. — Scheurer a reproduit, dans ses Mémoires toute sa correspondance de cette époque avec Leblois. Ces lettres, avec quelques autres, ont été publiées par Leblois en plaquette et dans le Siècle des 7, 8, 9 et 10 mai 1901.
  2. Enq. Pellieux, 30 nov. 1897, Picquart.
  3. De Meiringen (Suisse), le 15 août 1897.