XVII
Billot, le 2 septembre, envoya le lieutenant-colonel Bertin en éclaireur[1].
Scheurer, quand il vit arriver l’officier chez lui, se garda de lui parler, le premier, de Dreyfus ; il le reçut comme un visiteur ordinaire, en ami. Au bout d’une heure, Bertin n’y tint plus : « Vous occupez-vous encore de Dreyfus ? — Oui, reprit Scheurer, et je suis fixé maintenant : il est innocent. »
Mais, malgré des interrogations répétées, il refusa de dire ce qu’il savait. Seulement, « d’une voix grave et les yeux dans les yeux[2] », il déclara qu’il était résolu à faire tout son devoir : « Rien ne m’arrêtera, une fois que je serai lancé. Je ne tolérerai pas qu’une pareille iniquité se perpétue. Le général Billot a manqué de confiance envers moi ; il a eu tort. Je n’ai pas été dupe des fables qu’il m’a contées. Je ne ménagerai pas toujours l’ami qu’il est pour moi. » Et comme l’officier objecte qu’il se fera beaucoup de tort : « Je mépriserai tout ce qui ne concerne que ma personne. »
Vers la fin de l’entretien, Bertin, à qui Billot avait raconté l’enquête de Picquart sur Esterhazy, formula un blâme contre les militaires qui bavardent. Scheurer
- ↑ Bertin se rendit en voiture chez Scheurer avec le neveu du sénateur. En passant devant l’usine de Dreyfus, à Belfort, il dit à Fernand Scheurer : « Voilà le champ de Tropmann, le champ du crime. » (Rennes, II, 57.)
- ↑ Mémoires de Scheurer — Rennes, I, 168, Billot : « Bertin vint me rapporter que Scheurer-Kestner, le regardant avec des yeux d’acier, lui avait dit… »