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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


saisit l’allusion, précisa qu’aucun officier ne lui avait fait de confidence, mais il ajouta que le général de Torcy, chef du cabinet du ministre de la Guerre, aurait lui-même (on le lui a dit) exprimé des doutes sur la culpabilité de Dreyfus[1] : « Vous savez maintenant ce que vous avez à faire ; si vous faites votre devoir, je ne paraîtrai même pas ! » Le confident de Billot, comme se parlant à lui-même, murmura : « C’est Morès[2] ! »

Morès avait été des amis d’Esterhazy ; le bruit avait couru qu’il connaissait le secret du drame.

Quelques jours après[3], aux manœuvres, Bertin rendit compte à Billot du résultat de sa démarche. Le ministre parut très ennuyé[4]. Grand temporisateur, il chargea Bertin de transmettre cette demande à Scheurer : « Je m’adresse au vieil ami ; qu’il ne fasse rien sans m’avoir vu[5]. »

Scheurer y consentit ; ce retard et cette procédure rentraient, d’ailleurs, dans son nouveau plan[6]. Il venait, en effet, de conférer avec Leblois, à Fribourg, et l’avocat, changeant de système, l’avait amené à

  1. Scheurer tenait ce récit de l’un de ses amis alsaciens.
  2. Mémoires de Scheurer. — Bertin résume ainsi cette conversation : « Je trouvai Scheurer-Kestner résolu, décidé et traitant avec grand dédain, ce qu’il n’avait pas encore fait, un argument que je lui présentais. Je fus très frappé de la décision, de la conviction que je voyais dans ses yeux. » (Rennes, II, 46.) — De même, Billot (I, 168).
  3. Le 9 septembre. (Rennes, II, 46, Bertin.)
  4. Rennes, II, 534, Bertin : « Tous les officiers qui ont été présents au déjeuner de Champlitte se souviendront que le déjeuner fut retardé, que le général de Négrier dut attendre, que les officiers d’État-major et d’autres vinrent dire au ministre, à plusieurs reprises : « L’omelette est prête, etc. »
  5. Rennes, I, 168, Billot ; II, 54, Bertin. — Bertin télégraphia, puis écrivit à Scheurer.
  6. Rennes, I, 168, Billot ; II, 50, Scheurer.