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SCHEURER-KESTNER


cette entrevue et je racontai à de nombreux amis l’acte de froide cruauté dont Lebon s’était lui-même accusé.

Lebon rendit compte à Méline de notre conversation ; il écrivit ensuite à Scheurer que sa lettre, celle que je lui avais montrée, l’avait « stupéfié » ; il le supplie, « dans un intérêt supérieur, de ne pas faire un pas de plus dans la voie où on l’engage, avant d’en avoir causé avec les ministres compétents[1] ».

« Je suis étonné, me répondit Scheurer[2], et, cependant, je connais la lâcheté humaine. » Toutefois, il faut s’arrêter là, attendre, jusqu’en octobre. « Refoulons l’indignation et la honte avec la douleur. »

Il avait préparé une lettre à Lebon. Il protestait d’abord que, lui seul, il s’était fait sa conviction, en dehors de toute influence des Dreyfus ; c’est lui-même qui m’a prié de faire une démarche auprès du ministre des Colonies. Mais il n’insiste pas sur l’incident ni sur son désir de prévenir Dreyfus que « l’iniquité va cesser ». Il veut s’expliquer sur une plus haute question :

Vous savez si je suis homme à rechercher le bruit, la popularité malsaine, et à faire parler de moi. La mission réparatrice que je me suis imposée ou plutôt que ma conscience m’impose, que l’honneur de la République commande, je la remplirai jusqu’au bout. Vous me connaissez sans doute assez pour vous dispenser d’illusions sur ce qu’on pourra obtenir de moi !

Qu’il s’agisse de politique ou d’autre chose, je ne me souviens pas d’avoir jamais reculé, lorsque je jugeais l’honneur en jeu. Et, dans la circonstance, c’est l’honneur des hommes qui gouvernent, comme celui de la République, c’est le mien qui sont enjeu !

  1. 17 septembre 1897.
  2. De Thann, 17 septembre.