Patrie[1] racontait que Dreyfus s’affaiblissait, « dans une rapide décrépitude, les joues hâlées par l’affreuse solitude, l’œil terne, les épaules remontées ». À propos d’une tournée d’inspection aux îles du Salut : « M. Artaud (l’inspecteur) pourra, sans manquer au devoir, lui dire que sa sépulture a déjà eu les honneurs de la sollicitude gouvernementale. Pour qu’il n’y ait pas de tricherie, Dreyfus, mort, sera photographié, embaumé et expédié sous bonne garde à Paris. » Déjà, Lebon a envoyé tout un matériel d’embaumement.
Le vieux républicain méditait tristement sur la férocité d’un jeune ministre qui prescrit de telles mesures, sur l’avilissement d’une presse qui publie, avec joie, de telles turpitudes, sur la veulerie d’une opinion qui ne proteste pas[2].
Pour se consoler, il relisait les lettres de Dreyfus.
Il eut d’autres sujets de tristesse. Il aimait le chimiste Berthelot autant qu’il l’admirait. Il comptait sur son concours. Berthelot étant venu le voir à Thann, il voulut lui exposer la redoutable affaire. L’illustre savant, l’un des plus grands du siècle, ne lui répondit pas par la phrase atroce : « De quoi te mêles-tu[3] ? » Il ne voulut rien entendre. Non qu’il manquât de courage civique, mais par égoïsme scientifique. La pensée constante d’une telle iniquité pèserait sur son cerveau, le distrairait de ses recherches. Il est vieux. Il ne doit ses dernières années, ses derniers efforts intellectuels qu’à la chimie.
Des impatiences se manifestaient. Hanotaux, il y a