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LA COLLUSION


leurs, et, marquis de fraîche date[1], traitait de haut cet officier de fortune, mal dégrossi, qui n’était pas de son monde. Une seule fois, il l’avait invité à sa table, en garçon[2] ; la marquise ne se fût pas commise avec la fille du cabaretier de Péronne. Henry, humilié, le détestait, mais cachait sa haine ; il connaissait, par le menu, l’aventure suspecte où s’était compromis naguère ce hautain aristocrate et il avait pénétré jusqu’au tuf ce cerveau bizarre, romanesque, très cultivé et très sot. Il le savait ambitieux, dévoré de la soif de paraître, de jouer un rôle, sans scrupule et d’un dévouement illimité à Boisdeffre. C’était l’homme qu’il lui fallait.

  1. Il était, comme on l’a vu (tome Ier, 211), l’arrière-petit-fils du président Dupaty de Bordeaux. Le président Dupaty eut neuf enfants, dont Charles Dupaty, le statuaire, l’auteur du Louis XIII de la place des Vosges, et Emmanuel Dupaty, de l’Académie française, l’auteur des Délateurs. Le frère du président, mousquetaire à cheval, auteur d’un traité d’équitation, affilié aux illuminés, prit le nom de Clam, d’un manoir qu’il possédait à Saint-Georges-de-Cubillac, dans le Poitou. (Rainguet, Bibliographie Saintongeoise, à Saintes, 1844.) Son fils servit en Espagne sous Thiébaud. (Mémoires, III, 225.) Le général Dupaty, petit-fils du président, prit à son tour le nom de De Clam, écrivit son nom de famille en deux mots et devint marquis du Pape. Prisonnier de guerre en Allemagne, en 1870, il adressa à la Gazette de Cologne une lettre où il traitait le gouvernement de la Défense Nationale de « gouvernement d’aventuriers). C’est le père du lieutenant-colonel.
  2. Cass., I, 344, Cuignet : « Du Paty connaissait le petit bleu, et c’est même à partir de ce moment qu’on le vit fréquenter Henry, l’introduire peu à peu dans son intimité. » Ces assertions sont démenties par Du Paty : « Pendant l’été, à l’époque d’une absence de Mme Henry, j’ai invité une fois Henry à déjeuner (en 1895). Il n’est presque jamais venu chez moi, en dehors de cette invitation, sauf pour affaire de service. Mme Henry est venue plusieurs fois voir ma femme au moment de la naissance d’un de mes enfants ; nous ne l’avons jamais invitée à notre table. » (Cass., I, 456 ; Rennes, III, 504.) Cela est confirmé par Lauth à l’instruction Tavernier (3 juillet 1899). Lauth dépose qu’il tient l’information d’Henry lui-même.