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LA COLLUSION


L’adresse de cette lettre eût été précieuse, si la lettre avait été sincère ; Esterhazy racontera que, le jour où il la reçut à Dommartin, son courrier était abondant, « parce qu’il avait fait des annonces pour vendre des chevaux et des chiens », et qu’il jeta l’enveloppe, avec d’autres, dans la cheminée[1]. Cependant, il avait eu le temps d’observer, avant qu’elle brûlât, que l’enveloppe était rose et timbrée de la rue Daunou, que l’adresse était « assez baroque » : au lieu de Dommartin, « comme écrivent les gens du monde », le nom local : « La Planchette[2] ». — En fait, comme il avait fabriqué lui-même la lettre, à Paris, avec Henry, il n’y avait pas d’enveloppe timbrée.

« Espérance » deviendra bientôt « la dame voilée » et, plus tard, Boisdeffre et ses associés s’appliqueront à l’identifier avec une cousine de Picquart, la femme d’un ancien magistrat. Henry et Lauth la connaissaient de vue, parce qu’elle avait assisté, l’automne passé, d’une fenêtre du ministère de la Guerre, à l’entrée du Tsar[3]. Elle avait le même confesseur que Boisdeffre,

    de Dreffus. C’est M. Picart qui a donné les renseignements à la famille. Ce M. Picart a acheté votre écriture à des sous-officiers de Rouen l’année dernière. Je tiens tout cela d’un sergent de votre régiment, auquel on a donné de l’argent pour avoir de votre écriture. Vous voilà bien averti de ce que ces scélérats veulent faire pour vous perdre. C’est à vous maintenant de défendre votre nom et l’honneur de vos enfants. Hâtez-vous, car la famille va faire agir pour vous perdre. Amie dévouée, Espérance. Ne montrez jamais cette lettre à personne. C’est pour vous seul et pour vous sauver des grands dangers qui vous menacent. « (Cote 102 du dossier Bertulus ; Cass., III, 58.)

  1. Cass., II, 91, Enq. Pellieux.
  2. Ibid., 223, 257, Enq. Bertulus.
  3. Le 6 octobre 1896. — Rennes, III, 467, Lauth. — Esterhazy, dans ses lettres au Président de la République et dans ses dépositions aux enquêtes, ne parle que d’une seule « inconnue » qui le protège. À son procès, il distingue, mais sans y insister, en réponse à une objection du général de Luxer, entre « Espé-