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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


mis à la poste la lettre qui renfermait le bordereau. Elle refusa[1].

Précédemment, Henry s’était débarrassé de l’ancien agent Lajoux, devenu gênant depuis que, s’étant rencontré avec Cuers, il avait appris de lui la vérité[2]. Lajoux n’était plus au service depuis deux ans ; Picquart l’avait congédié, en 1895, après lui avoir fait prendre ses papiers, à Bruxelles, par un policier[3]. Mais, quelque taré que fût l’individu, dès qu’il commença à colporter les confidences de Cuers, Henry en eut peur, l’attira dans un guet-apens, le fit interner dans un asile d’aliénés[4], et, finalement, traita avec lui. Lajoux accepta de s’expatrier. Gribelin vint lui-même à Anvers

  1. Cette brave femme, Mme Doyoul-Martinet, fit ce récit à M. Fleury-Bonnard, dessinateur à Lyon, qui en informa Mme Dreyfus (9 février 1898). Les deux tentateurs lui avaient défendu, sous menaces, ainsi qu’à son mari, de rapporter leur démarche à son ancienne maîtresse.
  2. Rennes, II, 16, lettre de Lajoux (du 11 juin 1899) au ministre de la Guerre. Lajoux s’était rencontré à Luxembourg avec Cuers qui lui aurait tenu ce langage : « Il y a actuellement au ministère de Guerre un monsieur qui voit tout, qui sait tout, qui envoie au Thiergarten rapports sur rapports et qui a expédié, à Berlin, une longue note sur le nouveau matériel d’artillerie. Il est décoré, va en plein jour voir Schwarzkoppen ; on dirait qu’il sait tout ce qui se passe au ministère. » — Il raconta les confidences de Cuers au Dr Delanne, qui les rapporta plus tard à Ph. Dubois, rédacteur à l’Aurore. (2, 12 mai 1899.)
  3. La perquisition fut ordonnée, à la requête du bureau des Renseignements, par le directeur de la Sûreté générale (Poirson) ; un policier enivra la femme de Lajoux et, pendant qu’elle dormait, fractura son secrétaire et s’empara des papiers. (Rennes, I, 615, Lauth.) Picquart dépose : « Je n’ai pas eu à entrer dans les détails ; j’ai averti la Sûreté. » (Rennes, I, 637.)
  4. Lajoux, dans sa lettre au ministre de la Guerre, raconte qu’il demanda une audience à Boisdeffre ; sur quoi, il aurait été interné, arbitrairement, à Saint-Anne, avec les fous. Lecture de cette lettre fut donnée à Rennes, le 22 août 1899, devant Boisdeffre, Gonse et Gribelin, qui ne firent entendre aucune protestation.