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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


édifié, l’avait chassé en le traitant de canaille. Esterhazy ne s’arrêtait pas longtemps à ces bagatelles.

Schwarzkoppen fut surpris de le revoir. Esterhazy, sans nul embarras, lui dit l’objet de sa visite : tout est découvert ; en conséquence de quoi, il est menacé d’aller remplacer le Juif à l’île du Diable ; mais l’attaché militaire n’est pas moins compromis que lui ; il sombrera, lui aussi, dans un immense scandale. Il n’y a qu’un moyen, un seul, d’empêcher le désastre ; il faut que Schwarzkoppen aille déclarer à Mme Dreyfus que son mari est coupable et que tous ses efforts pour le réhabiliter sont vains[1].

Il exposa son idée comme l’affaire la plus simple du monde. Schwarzkoppen, à la nouvelle que son espion va être dénoncé, a pâli ; maintenant, il s’est ressaisi. Dans un grand dégoût : « Vous êtes fou, dit-il, Monsieur le commandant ! »

Esterhazy reprit qu’il était, au contraire, très sensé, que l’Allemand fermait les yeux au danger ; ne sont-ils pas complices ? Avec quelque hauteur, l’attaché militaire rappela ses immunités diplomatiques ; l’employeur d’un espion n’est pas son complice.

Alors Esterhazy eut un accès effroyable de désespoir, qui, peut-être, n’était pas entièrement feint, car il est de ces comédiens qui ne savent plus quand ils jouent la comédie ou quand ils ne la jouent pas. Il se roula sur un divan, poussant des cris, d’affreux jurons, et sanglotant. Puis, tout à coup, tirant un pistolet de sa poche, il le braqua sur l’attaché allemand, hurlant qu’il

  1. Esterhazy dit qu’il pria seulement Schwarzkoppen « de répéter ce que l’attaché lui avait confié, sinon de Dreyfus, du moins de son fameux capitaine d’artillerie, et du rôle des Juifs dans une armée. Comme je ne peux pas prouver cette conversation, je n’insiste pas ». (Dép. à Londres, 5 mars.)