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LA COLLUSION


prême de l’armée, qui, « gardien de l’honneur de ses officiers », leur doit aide et protection[1]. L’autre, qui n’avait brandi sa menace que pour en arriver là, résista un peu, puis céda. Tout en se promenant parmi les tombes, Du Paty lui dicta une demande d’audience, en style noble. Esterhazy la porta lui-même au ministère.

Billot, quand il eut la lettre, en fut à la fois irrité et alarmé. Il ne savait rien des pourparlers entamés avec Esterhazy[2]. Violemment, il se refusa à le voir, mais ne serait-ce pas folie de l’exaspérer ? Il prit un de ces moyens termes habituels et décida de le faire recevoir par le général Millet, directeur de l’infanterie, l’ancien protecteur de Picquart.

Esterhazy en fut aussitôt informé, d’abord par lettre officielle[3] ; puis par Gribelin, au Cercle militaire ; l’archiviste l’emmena en voiture et lui renouvela la promesse que les plus hautes protections ne lui feraient pas défaut[4]. Il revit ensuite Du Paty et se plaignit vivement de n’avoir pas audience du ministre lui-même, ou, à son défaut, du chef de son cabinet, Torcy, ou de Boisdeffre. Du Paty lui expliqua que, tout au contraire, c’était fort bien ainsi, qu’évidemment le chef de l’État-Major se réservait[5]. Esterhazy s’amusa à l’appeler par son nom. Du Paty cessa de dissimuler ; il crut à quelque indiscrétion policière[6], ne soupçonnant pas Henry de l’avoir livré. Pourtant, il sut, peu après, d’Ester-

  1. Cass., I, 450, Du Paty ; I, 679, Esterhazy.
  2. Il l’affirme (Cass., I, 547), et cela paraît probable.
  3. Cass., I, 580, Esterhazy.
  4. Ibid., et II, 181. Gribelin ne fait pas mention de cette promenade ; il dit, en terminant son récit de l’entrevue de Montsouris, « qu’il n’a plus revu Esterhazy qu’au conseil de guerre ». (Cass., I, 435.)
  5. Cass., I, 580, Esterhazy.
  6. Ibid., II, 193, Du Paty.