Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1903, Tome 2.djvu/616

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
606
HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


connaissaient aussi « ses rapports, peu fréquents, mais très ouverts, avec Schwarzkoppen, qui a rencontré ses parents à Carlsbad » ; « il se cachait si peu de cette relation qu’il alla, en plein jour, à plusieurs reprises, en uniforme, à l’ambassade d’Allemagne, pour rendre service à son colonel »,

Millet écouta, « sans souffler mot », ce bizarre récit ; il dit seulement à Esterhazy d’écrire en détail au ministre ce qu’il venait de lui conter[1]. C’est ce que fit le soir même Esterhazy[2], d’accord avec ses amis et de l’assentiment formel de Boisdeffre. Il termina sa lettre par ces phrases, qui sont bien de son style, matamore qui retrousse ses moustaches et regarde vers la porte de sortie :

Parler plus longtemps sur ce sujet semblerait un plaidoyer, ce qui est loin de ma pensée. Il me reste à vous demander si, dans le cas où une allusion serait faite publiquement à ma personnalité, vous prendriez la défense de mon honneur, ou si je ne dois compter que sur moi-même. Ma vie est beaucoup moins que rien, mais j’ai un héritage de gloire à défendre. Au besoin, je m’adresserai à l’Empereur d’Allemagne. Quoique ennemi, c’est un soldat, lisait ce que représente le nom que je porte, et je ne doute pas qu’il autorise officiellement son aide de camp à protester contre l’infamie dont je suis victime[3].

  1. Cass., I, 581, Esterhazy.
  2. Lettre du 25 octobre 1895. (Dossier de la Cour de cassation, liasse n° 2, annexes au n° 74.) — Même récit, plus tard, avec de légères variantes, aux enquêtes et à son procès.
  3. Esterhazy dit tantôt (Cass., I, 581) que tout le texte de son épître à Billot lui fut dicté mot à mot par Du Paty ; tantôt (Dép. à Londres, 1er mars) qu’« on » lui a remis — on, c’est Henry — le brouillon « écrit, lui a-t-on dit, de la main ou, sous la dictée de Gonse pour qu’il l’apprenne » ; et, encore (Dessous de l’affaire Dreyfus, 179), que le brouillon, de l’écriture contrefaite de Du Paty, porte, in fine, cette note autographe