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LA COLLUSION

lui aurait été dicté, Du Paty affirme avoir seulement donné le sens général de l’épître. Or, elle est bien du style d’Esterhazy ; cette prose éclatante, empanachée, à la fois tragique et bouffonne, n’est pas de ce pitoyable Du Paty, mais du plus grandiloquent des Pantalon.

Félix Faure reçut, le 29 octobre, la sommation du bandit.

Esterhazy a appris par une lettre anonyme[1] qu’il va être dénoncé comme l’auteur du bordereau ; il ne lui plaît pas d’attendre « que son nom ait été livré à la publicité pour savoir quelle sera l’attitude de ses chefs » ; déjà, mais en vain, il a eu recours au ministre de la Guerre, son protecteur naturel :

M. le Ministre de la Guerre ne m’a pas répondu. Or, ma maison est assez illustre dans les fastes de l’histoire de France et dans celles des grandes Cours européennes, pour que le Gouvernement de mon pays ait le souci de ne pas laisser traîner mon nom dans la boue.

Je m’adresse donc au chef suprême de l’armée, au Président de la République, et je lui demande d’arrêter le scandale comme il le peut et le doit.

Je lui demande justice contre l’infâme instigateur de ce complot, qui a livré aux auteurs de cette machination les secrets de son service pour me substituer à un misérable.

Si j’avais la douleur de ne pas être écouté du chef suprême de mon pays, mes précautions sont prises pour que mon appel parvienne à mon chef de blason, au suzerain de la famille Esterhazy, à l’Empereur d’Allemagne[2]. Lui est un soldat et saura mettre l’honneur d’un soldat, même ennemi, au-dessus des mesquines et louches intrigues de la politique.

  1. Il joint à sa lettre à Félix Faure le texte de la lettre « Espérance ».
  2. Cette suzeraineté est de pure invention.