Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1903, Tome 2.djvu/634

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
624
HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

Il osera parler haut et ferme, lui, pour défendre l’honneur de dix générations de soldats.

À vous, Monsieur le Président de la République, de juger si vous devez me forcer à porter la question sur ce terrain.

Un Esterhazy ne craint rien ni personne, sinon Dieu.

Rien ni personne ne m’empêchera d’agir comme je le dis, si on me sacrifie à je ne sais quelles misérables combinaisons politiques[1].

Quand Scheurer, quelques heures après, se présenta à l’Élysée, il trouva Félix Faure très gêné, « les yeux roidis » ainsi que le corps, le ton sec et tranchant[2]. Ç’avait été un homme aimable et gai, bon compagnon, à la façon d’un commis-voyageur de grande maison qui se sait beau garçon, bien découplé, d’une élégance vulgaire, mais alerte, respirant la santé et l’amour de la vie ; et ce n’était pas un méchant homme ; il était amateur des plaisirs faciles en même temps que bon père de famille, cordial, serviable, de peu de culture, mais d’intelligence ouverte avec le goût du travail, très peuple, dans le fond, jusqu’à son goût du paraître, et sincèrement patriote, bien que, dans l’orgueil démesuré qui lui était venu de sa prestigieuse fortune et de la fréquentation des empereurs et des rois, il eut pris l’habitude de se confondre avec la France. Il était devenu tranquillement et sereinement ridicule. Sa mégalomanie se trahissait jusque dans son écriture, qu’il avait grandie pour qu’elle ressemblât à celle des rois, ses prédécesseurs, qu’il avait vue sur des parchemins. À la simplicité républicaine d’un Grévy, à la correction, déjà trop apprêtée, de Carnot, il avait fait succéder, à l’Élysée, le faste et

  1. Cass., III, 472.
  2. Mémoires de Scheurer.