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LA COLLUSION


sorti de chez lui ». D’ailleurs, il fera une enquête[1]. Et Scheurer est lié par tous les engagements qu’il a pris ; son silence condamne au silence les amis qui eussent voulu parler.

De rares journaux comprennent que le devoir de la presse est de calmer, non d’agiter l’opinion. Ils s’abstiennent de reproduire les fausses nouvelles et cherchent, péniblement, à faire patienter le public[2]. Mais le public s’énerve, se fâche, comme dans une salle de théâtre où le rideau tarde trop à se lever. Il fera porter à l’auteur, aux interprètes, la peine de cet agacement.

Ranc et moi, nous faisions part à Scheurer de nos inquiétudes ; il nous répétait qu’il n’était pas libre : « On devrait comprendre que mon vif désir est d’être déchargé du poids qui m’oppresse. Encore un peu de patience. Je me suis engagé dans une rude voie. Je vais droit mon chemin. On me jugera plus tard sur les faits. »

Vaughan, l’ancien administrateur de l’Intransigeant, s’était séparé de Rochefort. Il fonda un journal, l’Aurore, où il fit entrer Clemenceau, Mirbeau, Urbain Gohier, rédacteur au Soleil, Bernard Lazare[3] ; celui-ci, depuis son mémoire pour Dreyfus, avait été exclu de tous les journaux. Clemenceau l’appréciait fort, mais à condition qu’il ne parlât pas de Dreyfus[4]. « Ne savez-vous donc pas que Dreyfus est innocent ? » lui dit Ranc ; et il l’envoya chez Scheurer.

C’étaient de vieux amis, mais que la politique avait souvent divisés et qui ne se voyaient plus qu’à de longs

  1. Procès Zola, I, 117, Scheurer.
  2. Temps, Figaro, Radical.
  3. Parmi les autres collaborateurs de l’Aurore : Berthier, Henri Varennes, Leyret, Jaclard, Philippe Dubois, Descaves, Geoffroy, Quillard ; plus tard, Francis de Pressensé.
  4. Vaughan, Souvenirs sans Regrets, 67.