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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


entretenus avec lui dans la salle des séances, ont été dénoncés par Drumont. L’avertissement ne fut pas perdu pour Freycinet ; un jour que Scheurer s’assit à son côté, il dit qu’on serait mieux dans un coin discret de la Bibliothèque[1]. D’autres s’assurent, avant de lui parler, que les journalistes ne les observent pas. Le duc d’Audiffret-Pasquier, qui le recherchait, ne le connaît plus. Toute la droite s’écarte de lui, sauf Grivart et Buffet qui le félicita de son courage. Le vieux parlementaire fit tristement allusion à la violence de la presse royaliste et de ses collègues : « J’ai trop vécu ; ce n’est plus mon parti[2]. »

La Chambre était à six mois du terme de son mandat ; d’autant plus, le souci de la réélection paralysait les courages, énervait les énergies.

L’affaire Dreyfus, dès l’origine, avait pesé lourdement sur les députés, non que le souci d’une erreur judiciaire les tourmentât, mais par la crainte des haines et des fureurs que soulevait le drame. Quelques-uns seulement se plurent à exploiter les passions ; la plupart les détestaient, mais sans ressort pour y résister.

Jamais session parlementaire ne s’était ouverte sous de plus favorables auspices, dans une sécurité plus profonde. Le gouvernement de Méline a dépassé en durée les plus longs ministères ; il a la double consécration du temps et du Tsar. Et voilà que cette histoire

  1. Mémoires de Scheurer.
  2. Le 3 novembre, m’étant absenté de Paris pendant les vacances de la Toussaint, j’y revins, de Nancy, avec Buffet. Il m’honorait de son amitié. Pendant presque toute la durée du trajet, il se fit raconter, m’écoutant avec une grande émotion, ce que je savais de l’Affaire. Avant mon départ, je n’avais pas moins vivement ému la princesse Mathilde. Dès mon retour, je fus informé de la démarche que Boisdeffre avait faite auprès d’elle. (Voir p. 636.)