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LA COLLUSION


de Scheurer, surtout de Picquart ; il est le frère ; le traître lui appartient.

Mathieu eût voulu faire, au préalable, une enquête sur Esterhazy ; Scheurer insista pour qu’une requête détaillée, complète, fût adressée au garde des Sceaux.

Il avait plus raison encore qu’il ne le pensait : Darlan aurait accueilli la requête qui était de son ressort exclusif. Le ministre de la Justice était persuadé, maintenant, que la sentence de 1894 était illégale ; il commençait à croire qu’elle était injuste. Le courrier de la Guyane avait apporté deux lettres de Dreyfus, l’une au Président de la République, l’autre au garde des Sceaux. Il y renouvelait sa protestation avec une éloquence dont Darlan fut touché. Le malheureux écrivait à Félix Faure : « S’il faut qu’une victime innocente soit sacrifiée sur l’autel de la patrie, si je dois l’être, oh ! que l’on fasse vite, mais que l’on sache pourquoi je succombe. » Au ministre de la Justice, à qui il s’adresse pour la première fois, il déclare qu’il n’est pas l’auteur du bordereau et que les autres accusations accessoires portées contre lui, « jeu, femmes », sont mensongères ; il demande qu’une enquête soit ouverte[1].

Esterhazy écrivait d’un autre ton. Mais Darlan ne connut pas ses lettres ; s’il les eût connues, il n’aurait plus eu un doute. Il était décidé cependant à faire l’enquête réclamée par le prisonnier de l’île du Diable.

Emmanuel Arène, député de la Corse et rédacteur au Figaro, était des amis de Scheurer. Il était curieux d’informations pour son journal. Il proposa d’y publier un article qui préparerait l’opinion. Cela fut accepté.

  1. Lettres du 5 octobre 1897 à Félix Faure, du 8 à Darlan. Dans sa lettre au ministre de la Justice, Dreyfus fait allusion à sa lettre au Président de la République. Cette lettre fut communiquée au garde des Sceaux.