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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


lytechnique en qualité de professeur d’escrime[1] ».

Le capitaine Crémieu, ayant une affaire engagée depuis deux jours avec Morès, eût dû se battre le premier. Il avait réclamé, en effet, son droit de priorité quand son colonel le rappela à Meaux, par dépêche, pour y subir des arrêts[2]. Esterhazy se remit alors à sa disposition, mais pour signer, en hâte, sans le consulter, un double procès-verbal qui, visant les circonstances, clôturait les affaires contre Morès et contre Guérin[3]. Crémieu, dès qu’il eut obtenu, dans la journée du lendemain, la levée de ses arrêts, accourut à Paris, récusa Esterhazy et se mit en quête de nouveaux témoins[4]. Aussitôt la Libre Parole publia les procès-verbaux, sans dire un mot de la récusation[5]. C’était le matin même où Mayer fut tué par Morès.

Dans l’émotion que causa la mort du capitaine Mayer[6], Ernest Crémieu fut sévèrement jugé. Esterhazy, qui l’avait conseillé, lui promit de le dégager avec éclat et de prendre sa part de responsabilité, quand il déposerait au procès intenté à Morès pour homicide. Au jour venu, il n’en fit rien. Ce furieux, qui écrit comme on sabre, sait, quand il le faut, calculer, comme un diplomate, la portée de ses paroles. Il montra son impartialité en rendant un égal hommage au courage de tous :

  1. Numéro du 24 juin.
  2. Dépêche du mardi 21 juin,
  3. Les deux procès-verbaux sont datés du 21 juin. La signature de Devanlay, absent de Paris, fut ajoutée le 22.
  4. 22 juin. — Esterhazy porta lui-même à Morès la lettre qui le récusait. (Mémoire, 48.)
  5. 23 juin. — Esterhazy ni Devanlay ne protestèrent.
  6. Une interpellation eut lieu à la Chambre ; Freycinet, ministre de la Guerre, déclara que « susciter la division entre les officiers, c’est un crime national ». À l’unanimité, la Chambre adopta un ordre du jour approuvant les déclarations du Gouvernement (25 juin).