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ESTERHAZY


s’il blâma l’emploi des épées trop lourdes de Morès, il n’en fit grief qu’aux témoins de Mayer qui auraient dû les refuser ; il attesta même qu’Ernest Crémieu s’était déclaré tout de suite l’auteur de la publication des procès-verbaux, mais il se tut sur son propre rôle[1] et laissa ainsi abîmer ce malheureux[2].

Morès fut acquitté. Le capitaine Crémieu-Foa alla se faire tuer au Dahomey[3].

Si Esterhazy avait été pour ces jeunes gens un ami loyal, Drumont eût vite fait de le traiter comme quiconque était l’ami d’un juif, et de l’accuser d’avoir reçu de l’argent. Au contraire, Esterhazy devient un familier de la maison, un collaborateur du journal[4]. Quelques-uns des articles les plus virulents qui y paraîtront contre les chefs de l’armée, il les inspire ou les écrit lui-même, et, avec son effronterie habituelle, ne s’en cache pas. Ne serait-il pas l’auteur des articles signés de Lamase et qu’il a si bruyamment flétris[5] ? On l’en a accusé, non sans vraisemblance, mais sans preuves.

  1. Cass., I, 712), Grenier : « Il ne dit pas un mot du conseil qu’il avait donné, ne prit aucune part de la responsabilité qu’il avait encourue. » — Libre Parole du 31 août : « Il se montre très courtois pour nos amis. »
  2. Le président Delegorgue, l’avocat général, Demange, avocat de Morès, relevèrent durement l’indiscrétion d’Ernest Crémieu-Foa, qui fut hué par le prétoire et quitta la Cour d’assises au milieu de manifestations hostiles. — La Libre Parole tint a constater « la courtoisie » du président Delegorgue à l’égard des accusés ; « c’est un brave homme » ; elle opposa son attitude à celle du président Mariage, qui présida les assises dans le procès intenté par Burdeau à Drumont.
  3. Blessé le 26 octobre suivant, il ne voulut pas interrompre son service. Il mourut le 17 novembre à Porto-Novo.
  4. Voir plus loin (p. 488) des extraits de quelques-uns de ces articles et p. 434 ses lettres à Weil sur ses rapports avec Drumont. Dans d’autres lettres (p. 488) il offre à des amis de faire attaquer, dans la Libre Parole, les ministres dont ils auraient à se plaindre.
  5. Drumont écrit le 28 août : « Un officier, victime probable-