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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS
Henry n’en continua pas moins à faire chez lui un triage[1] et à retirer des paquets les fragments de papiers écrits en français. Si, parfois, il en laissait quelques-uns dans les paquets qu’il remettait au colonel, il en avisait le capitaine Lauth.

Tavernier n’explique pas pourquoi Henry laissait parfois des pièces françaises dans les cornets et alors, en avisait Lauth. Était-ce pour faire croire à Picquart qu’il ne procédait pas à une première visite des paquets ? Lauth, avisé, était-il son compère ?

Tavernier, qui va conclure que le petit bleu est un document forgé ou falsifié, ajoute :

N’y a-t-il pas lieu de s’étonner que l’attention d’Henry, qui procédait toujours à ses triages avec grand soin, n’ait pas été attirée tout d’abord par la couleur des débris du petit bleu ? Si on admet que, pour une raison quelconque, Henry ait laissé le débris dans un paquet, on se demande pourquoi, contrairement à son habitude, il n’en a pas averti Lauth.

Dès lors, Tavernier incline à croire qu’Henry était absent quand est arrivé le cornet qui renfermait le petit bleu. Lauth, à Rennes (I, 618), semble se réfugier, ainsi que Roget (I, 269), derrière cette dernière invention. Lauth oublie qu’il a reconnu précédemment (Instr. Fabre, 28) que « cette pièce lui a été remise par Picquart, qui, lui-même, l’avait reçue, avec les petits paquets, des mains d’Henri ».

Quand Henry convient qu’il procédait toujours, sous Picquart comme sous Sandherr, à la visite préalable des cornets, et quand Lauth, Gonse, Roget, Tavernier, confirment cet aveu, il est manifeste que les uns et les autres poursuivent le même but : faire croire que Picquart a fabriqué le petit bleu, puisqu’Henry n’en a point aperçu les fragments dans le cornet. Il s’agit de convaincre Picquart d’un faux, d’une supercherie : qu’importe dès lors

  1. Lauth : « Cela ne pouvait constituer qu’un fait anormal et tout à fait en dehors de ses habitudes s’il ne l’avait pas fait. »