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ESTERHAZY


alors à amuser ou à tromper Schwarzkoppen. Tantôt, il lui adressait de prétendus rapports sur la situation de l’armée française, où la chronique scandaleuse tenait la plus grande place, portraits grotesques des chefs, histoires d’alcôves, injures et gravelures de toutes sortes[1]. Tantôt, et moins traître, ces jours-là, qu’escroc, il lui portait des informations qui paraissaient presque en même temps, ou qui avaient déjà paru dans des publications spéciales. La supercherie lui était d’autant plus facile qu’il avait, en sa qualité de major, un secrétaire ; le soldat Mulot copiait, chez lui, force documents, manuscrits et imprimés, des passages de livres, des extraits de journaux et de revues, traitant surtout de questions de tir et d’artillerie. Il disait à Mulot que c’était pour préparer ses conférences[2] : « Copiez de la page tant à la page tant. » Puis, « il prenait le papier et l’emportait[3] ». Un sergent-fourrier lui fit encore d’autres copies[4]. Tout allait chez l’attaché allemand. Schwarzkoppen, fantassin comme Esterhazy, n’entendait pas grand’chose à l’artillerie ; le vieux neuf lui paraissait inédit et précieux[5]. Mais Esterhazy abusa.

  1. « Il dénigrait, raconte Panizzardi, les hommes et les choses de l’armée française, avec la verve toujours facile dans la médisance. De données sérieuses, peu ou pas. »
  2. Procès Zola, I, 286, 287 ; II, 105 ; Cass., I, 169, 185 ; II, 88 ; Rennes, I, 421, Picquart ; Cass., I, 407, Curé ; I, 780, 781, Mulot, — Ce soldat fit son service au 74e de ligne, à Évreux, puis à Rouen, où il fut sous les ordres d’Esterhazy (14 novembre 1891 au 23 septembre 1894). Plus tard, Esterhazy eut à son service un dessinateur, Escalle.
  3. Récit de Mulot à Picquart, le 29 septembre 1896.
  4. Fin 93 ou commencement 94. (Même récit.)
  5. Esterhazy, pour soutenir son rôle de contre-espion, prétend (Dessous de l’affaire Dreyfus, 158) qu’il n’a fourni à Schwarzkoppen, par ordre de Sandherr, que de faux documents, des pseudo-circulaires « munies de tous les timbres et paraphes officiels », des faux dessins de canons et de fusils, etc. Il est pos-