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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


Ses diatribes contre les généraux français ne divertirent qu’une fois le grand État-Major prussien ; on s’étonna que le même individu livrât, sans plus de discernement, des pièces qui ne manquaient pas d’intérêt et la plus misérable pacotille. Schlieffen soupçonna un piège, prit l’escroc pour un provocateur. Déjà Panizzardi avait averti son collègue que l’espion, dont l’Allemand était si fier, fournissait, très cher, de la marchandise suspecte[1]. Il lui fit observer que la valeur technique de ces rapports était le plus souvent médiocre, que les inexactitudes y abondaient, surtout des incorrections de langage qui dénotaient une inquiétante ignorance professionnelle.

L’Italien, méfiant, en vint à douter que l’agent appartînt, ainsi qu’il le disait, à l’armée. Schwarzkoppen, quand il lui avait confié son aventure, avait refusé de lui dire le nom de l’espion[2]. Il lui avait offert seulement, en bon allié, de mettre le butin en commun[3]. Ce qui étonnait encore Panizzardi, c’était l’étrange scrupule de l’homme qui refusait de travailler directe-

    sible qu’Esterhazy ait remis à Schwarzkoppen de faux documents, mais il est certain que c’était aux jours de pénurie ; faute de pouvoir lui en vendre de bons.

  1. Rennes, III, 425, Trarieux : « Le comte Tornielli me dit avoir vu et lu, dans les premiers mois de 1898, une lettre de Schwarzkoppen à Panizzardi… » L’ancien attaché allemand y convenait que « la marchandise fournie par Esterhazy était souvent de peu de valeur ».
  2. Procès Zola, II, Casella ; Cass., I, 465, et Rennes, III, 425, Trarieux.
  3. Cass., I, 469, Trarieux : « M. le comte Tornielli m’a expliqué que l’attaché militaire italien n’avait pas été en relations avec Esterhazy, mais que l’attaché allemand, quand il recevait du commandant Esterhazy des documents pouvant intéresser l’Italien, les communiquait à son collègue. » Scheurer-Kestner, dans ses Mémoires, donne un récit presque identique de sa conversation avec l’ambassadeur d’Italie. Les mêmes renseignements furent fournis à Zola et me furent confirmés.