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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


perquisitionner en présence de l’intéressé, comme le veut la loi[1], si une telle hâte a été nécessaire, il faut que Picquart soit cent fois coupable (ce n’est plus un témoin, mais un accusé), et Drumont encore a eu raison ! Au surplus, demain, dès son arrivée, Picquart sera mis au secret, gardé à vue[2].

Quel contraste avec Esterhazy, laissé libre, chez qui nulle saisie n’a été pratiquée[3] !

En Angleterre, une telle violation de la loi eût soulevé l’opinion ; magistrats, policiers, officiers, on les eût traînés, comme des malfaiteurs, devant les tribunaux[4]. À Paris, quelques journaux à peine protestèrent[5] ; le Journal des Débats refusa un article de George Picot, secrétaire perpétuel de l’Académie des Sciences morales, qui dénonçait l’illégalité. Le vice, peut-être le plus profond, de la Révolution et de la société qui en est issue, c’est le dédain des droits personnels, le mépris

  1. Article 39 du Code d’instruction criminelle : « Les opérations prescrites par les articles précédents seront faites en présence du prévenu, s’il a été arrêté, et s’il ne veut ou ne peut y assister, en présence d’un fondé de pouvoirs qu’il pourra nommer. » — Aucun article du code de justice militaire n’autorise les officiers de police militaire à procéder ainsi qu’il est dit à l’article 88 : « Le juge d’instruction pourra pareillement se transporter dans les autres lieux où il présumerait qu’on a caché les objets dont il est parlé dans l’article précédent. »
  2. Libre Parole, Jour, etc., du 26 novembre 1897.
  3. Procès Zola, I, 248, Pellieux : « Il était absolument inutile de faire perquisitionner chez le commandant Esterhazy ; cela avait été fait pendant huit mois… Je n’ai pas fait perquisitionner chez Esterhazy parce que j’étais officier de police judiciaire et que je ne l’ai pas jugé nécessaire. »
  4. Albert Decrais, député de la Gironde, ancien ambassadeur à Londres, me rencontra, dans les couloirs de la Chambre, comme il venait d’apprendre l’incident : « Ces journalistes, me dit-il, sont naïfs ; ils prennent pour des agents de police de vulgaires cambrioleurs. — Allez donc, lui répondis-je, répéter cela à Méline ou à Billot ».
  5. Temps, Figaro, Siècle, Radical, Aurore des 26 et 27 novembre.