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LE SYNDICAT

Brisson s’étant hâté de clore l’incident, les députés se répandirent dans les couloirs et dans la salle des Pas-Perdus, grouillante de journalistes, Rochefort, encore tout chaud de l’étreinte de Pauffin, y déblatérait contre Billot, l’accusant d’avoir sacrifié Esterhazy à Dreyfus[1]. La plupart des radicaux, non moins irrités, firent leurs confidences à Papillaud[2]. Les députés de la droite et les anciens boulangistes manifestaient une indignation bruyante.

Il y avait, en effet, une inquiétante contradiction entre l’enquête annoncée sur Esterhazy et cette certitude du crime du juif, si hautement affirmée naguère, rappelée aujourd’hui d’une phrase molle. Goblet, ancien président du Conseil, le constata : « Les amis de Dreyfus auront seuls le droit de triompher[3]. » Lockroy, Bourgeois prédirent que « la multiplicité des incidents amènerait fatalement le ministère à ordonner la revision[4] ».

Ces commentaires, l’espoir et la crainte, également mal dissimulés, des partisans et des adversaires de la revision, trouvèrent leur écho au Sénat. Le Provost de Launay avait assisté à la séance de la Chambre : il courut au Luxembourg y dénoncer la faible réponse du ministre : « Quoi ! le Gouvernement n’a pas eu une parole de défense, de protestation en faveur d’Esterhazy ! » Comme sanction, il demanda la discussion, dès la prochaine séance, du projet de Mercier sur l’espionnage et la trahison.

  1. Libre Parole du 17 novembre 1897, récit de Papillaud.
  2. Déclarations de Bazille, de Dujardin-Beaumetz, etc. « C’est une infamie, dit Camille Pelletan, le ministre a bafouillé afin d’embrouiller encore une situation déjà pas mal louche. » (Libre Parole du 17.)
  3. Libre Parole, conversation de Goblet avec Papillaud.
  4. Autorité du 18, récit de Cassagnac.