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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


avait été arrêté et, après sept mois de prévention, condamné à trois ans de forteresse. À sa sortie, il a vainement demandé à l’État-Major de le reprendre. Ni le ministre de la Guerre, ni le Président de la République, à qui il s’est adressé, n’ont voulu lui venir en aide. Un de ses amis, agent de la Sûreté, vient de l’avertir qu’on cherche à le « mettre à l’abri » et l’engage à prendre la fuite. Il préfère se venger, démasquer les coquins, et demande à me voir ou à voir Scheurer.

Un rédacteur du Figaro[1], ayant recueilli ce récit, vint me trouver. Le mot de bordereau, dans une lettre du 17 décembre 1893, dénonçait à lui seul la fourberie. Il n’avait pris ce sens particulier que depuis le procès de Dreyfus. Je refusai de voir l’individu avant de m’être renseigné[2]. Le lendemain, Lemercier-Picard me fit tenir, toujours par le même canal, la pièce signée Otto, insistant, plus vivement encore, pour être reçu. J’examinai la lettre et j’y découvris deux fautes d’orthographe[3] qu’un secrétaire d’ambassade n’aurait jamais commises. J’appris de Mathieu Dreyfus qu’il avait déjà éconduit l’individu[4] et de Leblois que Mercier-Milon était le meilleur ami de Picquart[5]. Ainsi,

    de Picard, il ne se produisit une confusion dans certains esprits. Je l’appelai, en conséquence, de ses deux noms unis : Lemercier-Picard, cette appellation lui est restée. Elle avait ses inconvénients. Elle permit, en effet, à Roget et aux autres de dire que l’État-major n’avait jamais eu un agent de ce nom à son service.

  1. Émile Berr. Lemercier-Picard fit le même récit au colonel Sever, député du Nord.
  2. 26 novembre 1897.
  3. Livrée pour livré, serais pour serai.
  4. Il lui avait dit d’aller raconter son histoire à Pellieux.
  5. Je m’étais également informé à Bruxelles ; je sus, deux jours plus tard, qu’aucun voyageur du nom de Thérouanne n’était descendu, le 24 décembre 1893, au Grand Hôtel. La chambre