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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


dans un tel bourbier. Elle y pataugea alors qu’elle eût pu faire figure en revendiquant très haut d’avoir voulu aider à démasquer un bandit.

XIII

Scheurer, de son dernier entretien avec Pellieux, avait emporté la certitude que l’enquête était une comédie. Quoi ! depuis quinze jours, le monde entier croit que des experts, discrètement désignés, sont occupés à examiner le bordereau, à le comparer aux écritures d’Esterhazy et de Dreyfus ! Et nulle expertise n’a été ordonnée, et sous quel prétexte ! Il n’y a d’expertise que pour la lettre « du Uhlan », mais le fait que cette seule pièce va être examinée, c’est la confirmation du doute favorable à Esterhazy.

Il parut impossible à Scheurer de garder pour lui l’imprudent aveu de Pellieux. Il en informa ses amis. Au Sénat, dans les couloirs, il se répandit en propos très vifs contre Billot. En même temps, le scandaleux déni de justice fut dénoncé par Clemenceau et par le Figaro, dans plusieurs articles, les uns d’Emmanuel Arène, les autres que je rédigeai en collaboration avec Leblois.

Depuis trois ans qu’il n’avait pas été réélu à la Chambre, Clemenceau faisait son apprentissage du journalisme. Il tâtonna assez longtemps, cherchant sa forme, volontiers déclamateur, lui qui avait porté à la tribune la parole la plus nerveuse et la plus cinglante qu’on eût encore entendue. Maintenant, au service de cette grande cause, l’écrivain va égaler l’orateur, précis, hautain, logicien impitoyable, d’une ironie qui déchire et qui mord, serrant chaque question à l’étrangler, et, parfois, d’un mou-