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L’ENQUÊTE DE PELLIEUX


qu’elle avait de lui, non moins détestables[1]. Il avait menacé et prié tour à tour sa « Gabrielle » d’autrefois sans obtenir d’être reçu[2]. Elle craignait des actes de violence. Il essaye, maintenant, de lui arracher un mensonge ; que ces lettres lui ont été volées, que la lettre « du Uhlan » est « maquillée[3]. » (Il convenait, on l’a vu, de toutes les autres : « Les Allemands mettront tous ces gens-là à leur vraie place… Voilà la belle armée de France !… etc. ») Pellieux, lui ayant déféré le serment, il jura à nouveau, en rejetant l’affreuse lettre sur la table, qu’elle n’était pas de lui. La pauvre femme, bien qu’épouvantée et désolée de s’être frappée elle-même en frappant Esterhazy, se refusa pourtant à mentir : « Hélas ! oui, toutes les lettres sont bien de lui ! » Elle dit seulement qu’elle n’en avait pas autorisé la publication. Pellieux, lui aussi, la malmena, lui reprochant durement d’avoir, veuve d’un officier, cherché à porter atteinte à l’honneur de l’armée ; elle a commis un acte indélicat et manqué de patriotisme[4]. Au dehors, la presse l’insultait, « gueuse vendue aux juifs pour quelques deniers «, lui prêtait des galanteries et de honteuses aventures. Ainsi, la malheureuse était punie autant pour avoir aimé Esterhazy que pour l’avoir trahi. Elle était pitoyable et nul ne la plaignait, même ceux qui avaient tiré profit de sa vengeance. Seule, la conscience délicate de Scheurer s’inquiéta d’avoir poussé une femme

  1. Lettres à Mme de Boulancy communiquées, comme pièces de comparaison, aux experts Couard, Belhomme et Varinard : pièces A, F, H, J, K.
  2. Procès Zola, I, 510, Mme de Boulancy.
  3. Récit de Mme de Boulancy dans le Temps du 23 décembre 1897.
  4. Patrie du 1er décembre. — Clemenceau, dans l’Aurore du 2, ajoute ce détail que « Saussier, dans une autre chambre, disait militairement son fait à la suivante de Mme de Boulancy ».