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L’ENQUÊTE DE PELLIEUX


avisé, conseilla à Méline de « débarquer » Turrel, Rambaud, le ministre de la marine, d’embarquer sur la galère rappareillée Ribot et quelques radicaux. Méline, à la réflexion, se contenta de remplacer Darlan par un sénateur obscur, Milliard[1].

Tout indirect qu’il était, on comprit l’avertissement. Billot invita Pellieux « à faire saisir » le bordereau au ministère de la Guerre. Pourtant, Pellieux ne le fit pas expertiser[2] ; il allégua que, sur cinq experts inscrits au Tribunal de la Seine, trois avaient été mêlés à l’affaire Dreyfus ; que les deux autres refusaient, ne voulant pas procéder à une opération qui, par elle-même, infirmait la chose jugée ; qu’il était pressé, au surplus, de finir son enquête[3]. Il se contenta de montrer le bordereau à Esterhazy et l’invita à dire « s’il reconnaissait l’identité du fac-similé et de l’original ; » Esterhazy la reconnut[4].

Avec quelque audace qu’il eût argué de faux les lettres d’Esterhazy et quelque crédulité qu’eût rencontrée cette imposture, l’État-Major n’était pas sans inquiétude.

Boisdeffre se sentit visé, blessé par les attaques des journaux, bien qu’il n’eût pas été personnellement dési-

  1. 2 décembre 1897.
  2. Procès Zola, I, 268, 273, Pellieux.
  3. Cass., I. 13. Billot : « Je priai le Gouverneur de faire une nouvelle enquête avec expertises, Il m’en transmit les résultats. » De même à Rennes (I, 173). Or, Pellieux dit lui-même que l’expertise fut seulement ordonnée par Ravary.
  4. Cass., II, 103, Enq. Pellieux, 1er décembre. 3e procès-verbal d’interrogatoire : « Je vous présente la lettre missive, nommée bordereau dans l’accusation de Mathieu Dreyfus contre vous, en original et, à côté, un fac-similé de cette lettre missive. Reconnaissez-vous l’identité du fac-similé et de l’original ? — Je reconnais que l’original et le fac-similé sont semblables. » Signé : Pellieux, Ducassé, Esterhazy. — Au procès Zola (I, 245), Pellieux commença par dire : « Rien ne ressemble moins au bordereau original que les fac-similés des journaux. Ces fac-similés ressemblent à des faux. » De même Roget (Cass., I, 73).