Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1903, Tome 3.djvu/136

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
130
HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


sécurité pour l’avenir. Qu’il demande, au contraire, à passer devant un conseil de guerre, il rétablit du coup sa réputation compromise ; pour l’acquittement, Henry, au nom de Boisdeffre, le garantit.

Tézenas, déjà, avait donné le même avis à Esterhazy ; il jugeait (c’était l’évidence) que la situation de son client était fort diminuée par les fâcheuses lettres, authentiques ou non, et il ajoutait : « Innocent, qu’avez-vous à craindre du conseil de guerre ? » Esterhazy n’eût pas osé détromper Tézenas ; il rechignait pourtant, embarrassé.

Billot, Boisdeffre, trouvaient un autre avantage plus important à cette combinaison. Esterhazy a crié partout qu’il poursuivra ses diffamateurs en cour d’assises. Le simple refus d’informer provoquera de telles clameurs qu’Esterhazy se trouvera acculé à mettre sa menace à exécution. C’est le procès Dreyfus qui recommencera devant le jury. Or, c’est ce que « l’État-Major veut éviter à tout prix[1] ». Il faut donc qu’Esterhazy

  1. C’est en ces termes que l’Écho de l’Armée, du 4 décembre, expliquera l’ordre d’informer rendu par Saussier : « La haute armée veut en finir une bonne fois et régler cette affaire, de manière à n’y plus revenir. Le refus d’informer aurait laissé le commandant Esterhazy dans une position fâcheuse. On l’aurait sommé de faire un procès à Mathieu Dreyfus, de traduire son diffamateur en cour d’assises et, alors, devant le jury on aurait refait le procès Dreyfus, ce que l’on veut éviter à tout prix. En revanche, la comparution devant un conseil de guerre, où l’acquittement de M. Esterhazy est certain, ne peut offrir que des avantages : 1° forcer la meute Dreyfus à cesser ses hurlements ; 2° prévenir toute critique au sujet de la régularité de l’enquête ; 3° éviter un procès devant les juges civils ; 4° faire confirmer la condamnation de Dreyfus par le nouveau jugement qui acquittera Esterhazy. Telles sont, croyons-nous, les considérations qui ont été examinées en haut lieu. » — On peut rapprocher de cette note le passage suivant du compte rendu sténographique du procès de Rennes : « Esterhazy, dépose Trarieux, a été acquitté, il n’a pas été jugé. (Protestations au banc des témoins militaires.) »