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L’ENQUÊTE DE PELLIEUX


senta que la rupture, en ce moment, l’achèverait. Il invoquait ses petites filles. Elle se laissa toucher, mais consentit seulement à différer sa demande. Elle fut, dit-il, d’une dureté « qui révolta jusqu’aux domestiques ». Sans doute, elle lui parla avec colère, comme elle en avait le droit, ne lui laissa pas ignorer qu’elle n’était pas sa dupe, et lui reprocha sa vie brisée, leur nom sali.

Il eût voulu qu’elle intervînt publiquement en sa faveur, après la divulgation des lettres à la Boulancy. Elle avait l’horreur du mensonge. Cependant, une protestation, signée d’elle, parut, à son insu, dans les journaux : « Devant le malheur qui accable en ce moment l’homme dont je porte le nom et dont l’honneur sortira intact de cette épouvantable épreuve, je pardonne et oublie tout. » Quelques semaines plus tard, Esterhazy écrivit : « Vous n’avez pas douté un instant, je pense, que la fameuse lettre n’était pas d’elle, mais bien de Me Tézenas. ».

Quelqu’un (Henry ? Du Lac ?) imagina alors de rétablir, par un double coup de théâtre, la partie compromise. Le public, en plein drame, en plein roman, n’est plus remué que par l’inattendu. De l’opération, que le moine ou le soldat a savamment combinée, Esterhazy sortira reverni (d’un vernis qui tiendra jusqu’à l’acquittement), et Boisdeffre, auréolé d’une nouvelle gloire, définitivement consacré.

XIV

Pellieux, ainsi qu’il l’avait dit à Scheurer, rédigeait son rapport tendant au refus d’informer contre Esterhazy et très sévère contre Picquart. Henry exposa à Esterhazy qu’une telle décision ne lui donnait aucune


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