Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1903, Tome 3.djvu/160

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
154
HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


que, fût-il malheureux ou égaré, de l’homme qui est venu tout à l’heure expliquer sa conduite. Il nous montre, cet homme, par son exemple, ce que l’âme humaine recèle parfois de générosité et de bonté. »

Le Sénat faisait à Scheurer l’aumône des circonstances atténuantes : c’était un brave homme, mais trompé par des coquins.

Scheurer, vaincu, ne voulut pas le paraître ; d’ailleurs, il avait emporté le point principal : Billot n’avait plus osé invoquer la chose jugée comme un obstacle légal à une nouvelle expertise du bordereau. Scheurer le constata : « Toutes les pièces seront versées au procès, nous a dit le ministre de la Guerre, y compris le bordereau qui est la pièce essentielle de l’instruction. Je ne demandais que cela et je prends acte de cette promesse. »

Les radicaux, très excités, Peytral, Baduel, Bernard, eussent voulu que le Sénat exprimât sa confiance « dans l’œuvre de la justice », et « prît acte » seulement « des déclarations du Gouvernement ». Cela fut repoussé[1]. On vota, à l’unanimité[2], un ordre du jour qui « approuvait les déclarations du Gouvernement ». Il était signé des présidents des trois groupes de gauche.

Le Sénat, à la différence de la Chambre, ne s’était pas aplati sous le sabre[3], mais il n’avait pas été plus clairvoyant.

  1. Par 206 voix contre 56.
  2. Par 221 voix.
  3. Le Provost de Launay tenta sans succès une diversion contre les journaux qui défendaient la revision. Il accusa Scheurer d’inspirer le Figaro et les auteurs de ces articles « de ne pas être de race française, par conséquent d’être incapables de penser, de sentir et de souffrir comme nous », — comme lui.