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L’ENQUÊTE DE PELLIEUX


sur l’armée : « Elle est issue des entrailles du pays ; elle est soumise, patiente, patriote ; tous nos enfants sont sous les drapeaux ; songez à la France ! »

Grand soulagement que ces affirmations réitérées, solennelles, de Billot. Et Méline les confirma, jura que « le Gouvernement avait fait preuve d’une correction absolue ; il a eu un seul guide : la Loi ».

Le Sénat était tellement persuadé de la droiture de ces deux hommes qu’il accueillit par des rumeurs Trarieux quand le sénateur girondin se porta seul, bravement, au secours de Scheurer, « montant à l’assaut comme on fait lorsqu’on sent que l’on marche avec la vérité[1] ». L’assemblée murmura à ces simples paroles, expression d’une vérité banale : « Les juges les plus sûrs d’eux-mêmes, les mieux intentionnés, ne peuvent-ils pas se tromper ? L’infaillibilité n’est pas de ce monde[2]. » Lui-même, étant garde des Sceaux, il a déféré à la Cour de cassation l’affaire Cauvin et l’affaire Vaux. L’opinion publique s’est-elle émue ? Ce qui est vrai pour la justice criminelle ordinaire, le serait-il moins pour la justice militaire ? Il y a des précédents, le sergent Lacroix, dont le procès a été revisé. Méline interrompt : « Il n’y a pas d’affaire Dreyfus. » L’obstiné Vosgien se cramponnait à sa formule.

Et telle était, dans cette assemblée d’ordinaire sage et réfléchie, l’irritation contre Scheurer, comme s’il avait été l’auteur des maux engendrés par le crime qu’il avait dénoncé, que le Sénat eût voulu voter tout de suite, en finir avec cette insupportable histoire.

Quelques applaudissements à peine accueillirent ces paroles de Trarieux : « N’accusons pas le courage civi-

  1. Rennes, III, 417. Trarieux.
  2. Au compte rendu officiel : « Bruit ».