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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


ennemis personnels (Cassagnac), le haut État-major et ses moines organisèrent une campagne de désabonnement contre le Figaro. De Rodays, père et beau-père d’officiers, devenu tout à coup « un insulteur de l’armée », parce que ses collaborateurs avaient montré le fond de l’âme d’un traître qui appelait l’invasion de ses vœux et crachait sur la nation, n’y put tenir et quitta la partie. Il le fit sans grâce[1], mais non sans esprit de retour et sans avoir recueilli de son trop fragile courage autre chose que des injures.

Cette désertion (plus bruyante en fait que réelle) du moniteur de la Revision parut, d’abord, désastreuse. Comment arriver, désormais, au véritable juge, au premier qu’il faille convaincre, selon Voltaire lui-même, à l’opinion ?

Zola, « ne voyant alors aucun journal qui lui prendrait ses articles[2] », résolut de continuer sa campagne par des brochures. Il en publia deux : une Lettre à la Jeunesse, appel aux étudiants du quartier latin, dont les prédécesseurs avaient manifesté pour toutes les nobles causes et qui, eux, s’en allaient, par bandes, huer Scheurer ; et une Lettre à la France, d’un beau souffle douloureux, mais qui parut familière, la France traversant alors une de ses crises où elle ne permet qu’aux soldats de la tutoyer.

Cependant, ceux qui avaient bu de l’eau de vérité ne pouvaient plus supporter d’autre breuvage. Ils émigrèrent (bourgeois libéraux, quelques universitaires, des hommes de lettres et des artistes) à ceux des jour-

  1. Il déclarait, dans son article du 13 décembre, qu’il se retirait momentanément, « parce qu’il n’avait pas toute l’opinion publique pour lui et que la raison d’État lui en faisait un devoir ». Son co-gérant, Périvier, le remplaça. Il était également convaincu de l’innocence de Dreyfus, mais s’en taisait.
  2. La Vérité en marche, 38.