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L’ACQUITTEMENT D’ESTERHAZY


naux radicaux et socialistes qui avaient rompu avec les socialistes et les radicaux de la Chambre.

Lourde faute et, pour longtemps, irréparable des partis modérés. Comme Gonse avait repoussé les avis de Picquart, ils écartèrent ceux de Scheurer, ne comprenant pas que leur intérêt, à défaut d’une pensée plus haute, leur commandait de ne pas laisser une telle cause aux mains de leurs adversaires. Forcément, elle y deviendra révolutionnaire : d’allure d’abord, par la révolte qui est le contre-coup de l’iniquité systématique ; puis, la forme emportera le fond.

Le Journal des Débats, la Revue des Deux Mondes d’autrefois n’eussent pas commis cette erreur. Au contraire, Charmes, Brunetière, Heurteau s’engagèrent violemment contre la Revision, parlant le langage de la réaction cléricale, et perdant ainsi, avec le respect de leurs principes, leur raison d’être[1].

Il y eut, pourtant, quelques exceptions : Hébrard qui garda, dans le Temps, une neutralité bienveillante et, par le fait, très utile ; Yves Guyot, au Siècle ; et, ce qui étonna le plus, Cornély, qui avait quitté le Gaulois et que Saint-Genest, devenu aussi forcené qu’il avait été autrefois clairvoyant, présenta aux lecteurs du Figaro, après le départ de Rodays, comme « un solide patriote[2] ». Il ne chercha pas à nager contre le courant, alors trop violent, le suivit au contraire, mais peu à peu répandit de l’huile sur les eaux.

Bien que Guyot eût protesté contre le huis clos du procès de 1894 et, déjà, eût ressenti une inquiétude,

  1. Au Journal des Débats, Heurteau et Charmes avaient commencé par hésiter : Jules Dietz, quand ils se furent prononcés contre la Revision, refusa de les suivre, cessa toute collaboration politique.
  2. 22 décembre 1897 : « Bonne chance, camarade ! »