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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


il n’était encore persuadé, comme Clemenceau, que de la nécessité juridique et politique de faire la Revision, mais sans opinion arrêtée sur le fond. Esprit positif et pratique, très libéral, surtout économiste dans les moelles, et, dès lors, bien que breton d’origine, le plus anglophile des Français, il se méfiait des déductions psychologiques et ne voulait juger que sur pièces. Or, Billot a affirmé aux Chambres que Dreyfus n’a pas été seulement condamné sur le bordereau.

J’avais dit souvent à Mathieu Dreyfus qu’il fallait publier, coûte que coûte, les pièces du procès. Mais Demange, à qui le Conseil de l’ordre avait interdit de remettre le dossier de 1894 à Mme Dreyfus, refusait obstinément de s’en dessaisir. Mathieu finit par me communiquer la copie de l’acte d’accusation que Dreyfus lui-même avait prise au Cherche-Midi et qui avait été déposée en lieu sûr.

On croira difficilement que Méline, ni aucun des ministres (sauf Billot), n’avait eu l’honnête curiosité de regarder, avant de s’engager, sinon toutes les pièces du procès de Dreyfus, du moins l’acte d’accusation de d’Ormescheville. J’ai raconté, précédemment, que Darlan voulut prendre connaissance de la procédure et qu’il y échoua. Je fus informé que Méline, encore à la fin de décembre, était resté dans la même ignorance, soit qu’il préférât s’en tenir systématiquement à la chose jugée, soit qu’il n’osât pas réclamer de Billot la preuve de ses dires. Un ami commun lui offrit, de ma part, l’acte d’accusation de d’Ormescheville, pour que, par lui-même, il en vît l’épouvantable vide. Il hésita, puis refusa. Je le portai alors à Yves Guyot. Le lendemain, le document parut dans le Siècle[1].

  1. 7 janvier 1898.