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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

On raconta à ce peuple, doucement, par voie d’allusion, les erreurs judiciaires d’autrefois. Un jeune professeur (Raoul Allier) lui dit, en quelques pages très simples et émues, « Voltaire et Calas » ; je fis l’histoire de Raphaël Lévy, juif lorrain, brûlé vif à Metz, en 1670, pour meurtre rituel, puis réhabilité, par ordre de Louis XIV[1], quand son innocence eut été démontrée par Richard Simon avec l’aide des plus honnêtes gens de la Cour, Hugues de Lyonne et le prince de Condé.

D’autres publications semblables suivirent : l’Affaire du commis militaire Fabus par Bergougnan, une histoire générale des erreurs judiciaires, par Varennes et Lailler.

Pourquoi ces erreurs, ces réhabilitations, seraient-elles le privilège exclusif du passé ? On tira peu à peu de l’oubli les règles du droit.

Ce grand mouvement des cœurs qui, plus tard, deviendra irrésistible, commençait à peine. Dans cette première période, la seule idée de justice ébranle les esprits. Quelques-uns seulement (des femmes) devinent, voient Dreyfus lui-même, pleurent sur lui, sont obsédés par l’idée de son martyre. Pour la plupart, il n’est encore qu’une abstraction, en attendant qu’il devienne, dans la bataille grandissante, un symbole. L’homme n’apparaît pas encore. Lucie Dreyfus me refusait toujours les lettres de son mari, où chaque ligne crie l’innocence. Elle voulait, pour elle seule, son trésor. Le stoïque soldat eût-il approuvé qu’on livrât au public ses effusions, sa détresse ?

  1. Louis XIV évoqua l’affaire devant le Conseil d’État, par arrêt du 18 avril 1670. L’évocation, dans l’ancien droit, participait à la fois de l’antique translatio litis et de la moderne Cassation ; elle signifiait que le Roi tenait pour mal rendus les jugements et arrêts qu’il avait retenus.